California parano : récit de cinq mois de récolte dans les champs de cannabis
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California parano : récit de cinq mois de récolte dans les champs de cannabis
California parano : récit de cinq mois de récolte dans les champs de cannabis
Pour mettre un peu d’argent de côté en marge de ses études, on peut aller faire les vendanges dans le bordelais. On peut aussi aller récolter du cannabis en Californie. C’est cette option qu’a choisie Elsa, étudiante française de 26 ans, pendant cinq mois.
Salaire confortable, nourriture bio à profusion, chambre dans une grande maison et la perspective de “vivre pieds nus dans la forêt”. Comme de nombreux étrangers, Elsa, diplômée parisienne de 26 ans, s’est laissée tenter par un job de saisonnier en Californie. De septembre à janvier, elle a fait les vendanges dans une des nombreuses plantations de cannabis de Lake Cony, qu’elle décrit comme “le comté le plus pourri du triangle vert”.
Nichée au sommet d’une montagne, la bourgade de 350 âmes, qui l’accueille pendant presque cinq mois est uniquement accessible par un chemin terreux. La région est asséchée par la crise. Les jeunes se font rares et le crack fait des ravages sur la population locale : “Quand je suis arrivée, mon pote m’a dit : ‘ne te formalise pas si on te regarde, c’est parce que tu as toutes tes dents.’“
L’atmosphère est très masculine : “J’étais la seule fille à la maison.” Dans la ferme qui accueille entre deux et dix travailleurs – majoritairement des étudiants, le groupe travaille avec les moyens du bord :
“C’était assez expérimental. On savait faire pousser de la weed mais pas à une échelle commerciale. On était des étudiants, pas des fermiers.”
Mais les quantités produites ne relèvent pas de l’amateurisme. Sur les 100 pieds mis en terre, 80 arbres survivent aux aléas naturels pour un rendement d’environ 15 kilos de weed utilisable chacun, sans compter “le hash, le kiff et les cookies concoctés avec les restes”. La saison est optimale avec “un soleil sublime et un thermomètre qui culmine à 30° le midi”. Idéal pour faire mûrir les fruits.
Rempotage, récolte, séchage et manucure
Première étape : le rempotage. Les pieds quittent leurs petits pots pour être transplantés dans des “bassines de 20 litres en tissu biologique”. Elsa cite de mémoire les neuf variétés qui sont passées entre ses mains : Blue Dream, Coton Candy, Strawberry Cream, Kessy Jones, Plus Indica, G1, Purple Trainwreck, Purple Cadillac… et White Fire, “une hybride à dominante Sativa, une très belle plante avec de gros buissons ardents”, l’élue de son cœur.
Lorsque les têtes sont assez mûres pour êtres récoltées, l’équipe se relaie, dès 7h du matin, pour couper les énormes branches en morceau, les transporter sur des tiges de bambou afin de faire sécher les têtes pendant deux semaines sur des fils tendus autour de la maison. La journée de travail se termine à 13h et les petites mains se couchent généralement à 20h, exténués par le travail harassant et répétitif.
Au bout d’un mois vient la phase de “séchage” et de “curage”. L’herbe est stockée dans des grands bacs sous vide. Les têtes sont régulièrement brassées et aérées pour éviter les moisissures et chasser les araignées rouges, véritable fléau des cultivateurs. Puis vient la manucure. Levés à 5h du matin, les jeunes agriculteurs enlèvent une à une les petites feuilles qui dépassent des têtes. La tâche est laborieuse :
“Rester assis toute la journée ça rend fou. On se levait pour faire du Yoga. On restait en groupe pour s’encourager. On dansait en travaillant ou on se posait devant un film.”
“Rien n’est concret tant que tu n’as pas l’argent dans les mains”
En pension complète, Elsa est payée 100 euros la livre (453 grammes) produite, soit environ 80 euros par jour. Ceux qui rentrent chez eux gagnent 150 euros la livre. Victime de son manque d’expérience, l’équipe touche un peu moins que la moyenne du marché (200 euros la livre).
Une fois prête, l’herbe est confiée au frère d’un des cultivateurs pour être transportée dans une voiture de location récupérée à Sacramento, jusqu’à Los Angeles. Il faut alors la refourguer à un dispensaire de la ville, ce qui est loin d’être facile :
“Les rendements ne sont pas réguliers. Rien n’est concret tant que tu n’as pas l’argent dans les mains. Un jour tu gagnes 20 000 dollars, puis tu payes le loyer et tu n’as plus rien.”
Flou juridique
La précarité est également induite par le flou juridique autour du statut de la marijuana. La possession d’herbe médicale est légale dans le comté, mais uniquement lorsqu’elle se trouve dans un dispensaire. Et elle ne l’est jamais au regard de la législation fédérale. Les fermiers sont constamment sous la menace des hélicoptères de la Drug Enforcement Administration (DEA).
Le risque est bien réel : “Quand tu lis les journaux locaux, tu vois que des gens se font arrêter tous les jours. Mais en général, il s’agit de cartels mexicains qui produisent d’autres drogues et possèdent des armes.” Pour éviter d’être ciblés, les cultivateurs tentent de coller le plus possible à la légalité. Une énorme croix verte et des photocopies géantes d’ordonnances sont installées dans le champ pour être visibles depuis le ciel.
Mais ils ne lésinent pas sur la discrétion : la maison est bâchée pour cacher les branches qui sèchent et les visiteurs doivent appeler avant de passer. “Un jour, on était seuls tous les trois dans les champs. On a entendu quatre portes claquer dans la maison. On s’est dit qu’on allait se faire arrêter, mais c’était juste des potes qui étaient venus sans prévenir.”
Des autorités locales peu regardantes
Sur place, ces méthodes ne trompent personne. Pourtant, les autorités locales, elles, ferment les yeux car la production de cannabis fait souffler une bouffée d’air frais sur l’économie locale :
“Lorsqu’on a demandé à la municipalité l’autorisation de terrasser le champs, personne n’était dupe. Mais les saisonniers font fonctionner les supermarchés.”
Les locaux profitent largement de cette rentrée d’argent frais : “Notre loyer a doublé à partir du moment à la propriétaire de la maison a été au courant.”
Elsa garde un bon souvenir de son expérience. Sans être une grosse fumeuse, elle reste nostalgique de la liberté californienne : “Là bas, il n’y pas d’angoisse du manque ou de dépendance à un dealer. C’est un produit de consommation comme un autre. C’est comme si tu buvais du bon vin.” Aujourd’hui, lorsqu’elle ouvre son armoire, les émanations que dégagent encore ses vêtements lui rappellent d’agréables souvenirs.
source : http://www.lesinrocks.com/
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